Mes Frères : un hymne à la vie
Très beau film d’auteur (Bertrand Guerry et Sophie Davout) sur la fratrie, les non-dits et la maladie, Mes Frères est bouleversant, profond, lumineux et qui plus est “équitable”.
Deux frères, Eddy et Rocco, ont connu leur heure de gloire sur la scène rock indé à la fin des années 1990. On les retrouve dix ans plus tard sur une île, défilant en tête de la fanfare locale ! Un soir, leur sœur Lola réapparaît dans leur vie. Elle rencontre Simon, le fils de Rocco, qui va bientôt avoir 13 ans.
Vivre avec (la maladie)
Isolés, les deux personnages principaux le sont à plusieurs titres : l’un est atteint d’une maladie incurable, l’autre s’enferme dans le mutisme. C’est justement Lola qui saura trouver les mots pour libérer la chape de plomb, un drame survenu dix ans auparavant.
Pour ce drame musical, le réalisateur Bertrand Guerry a trouvé à l’Île d’Yeu (Vendée) un cadre propice à ce qu’il souhaitait raconter : un espace, une matière, une saveur toute particulière. Il a su préserver l’authenticité du “caillou” (terme utilisé par les habitants eux-mêmes). Une des forces du film réside dans la diversité des lumières avec laquelle l’équipe a su composer.
Pas étonnant que les personnages se soient réfugiés là ! Rocco est un héros antipathique. Un cœur de pierre ? L’autre est plus attachant, mais tout aussi complexe. Quels secrets les ancrent là, pieds et poings liés ? Ils doivent se supporter dans tous les sens du terme. Nous n’en dirons pas plus, si ce n’est que la culpabilité pourrit décidément les relations.
En effet, le scénario, habilement construit par Sophie Davout, ménage de belles surprises, avec plusieurs fausses pistes : “Mes Frères, c’est un cinéma de traverse, un film qui bouscule les codes et sort des sentiers battus”, précise-t-elle.
Hymne à la vie
Le scénario met bien en avant les ressources féminines. Mais c’est avant tout la solidarité, notamment familiale, qui permet aux personnages de prendre leur revanche. La force d’y croire. Toujours.
S’il traite ici magnifiquement des liens singuliers d’une fratrie, Bertrand Guerry connaît bien le thème de la résilience. La force intérieure des handicapés, il l’a déjà abordée dans plusieurs documentaires. Au-delà du handicap, ses films traitent surtout de la complexité humaine et de l’empêchement.
Le rapport au corps traduit parfaitement les enjeux : “Ce que l’on ne dit pas s’accumule dans notre corps et remplit notre âme de cris muets… Ce que l’on ne dit pas ne meurt pas, mais nous tue”, explique Bertrand Guerry.
Celui-ci a collaboré avec son frère Thomas, acteur dans le film et chorégraphe, pour poser ensemble la notion du corps et de ses états qui permettent de cadencer naturellement l’histoire. Cela est flagrant dans le personnage de Rocco et sa métamorphose physique. Toutefois, du mouvement jusqu’au point d’équilibre, la chorégraphie s’installe aussi, de façon plus ou moins perceptible, dans plusieurs séquences. Et c’est très beau. Ici, les souffrances humaines brisent les cœurs, meurtrissent les corps et enfouissent la parole, mais la joie renaît de la fraternité et du mouvement. Malgré les conflits et la mort qui plane, le film est un vrai hymne à la vie. Un film décidément lumineux !
Plongée dans les images
Pour ce voyage hors du temps, il fallait un réalisateur peu commun. Les partis pris esthétiques de Bertrand Guerry sont d’une grande justesse. Il a su transfigurer l’Île d’Yeu tout en captant son esprit, la puissance de la nature. Jamais vu de telles images sur le caillou !
Surtout, les paysages et les lumières traduisent bien l’état d’âme des personnages et les thématiques du film. “Ce n’est pas non plus un hasard d’avoir tourné en automne. Nous voulions préserver l’authenticité de l’île, la qualité du silence”, précise-t-il.
Les personnages évoluent entre bars typiques, hôpital et constructions typiques, mais surtout plages, dunes et bois de résineux, chemins creux qui côtoient les falaises de la côte sauvage ou l’herbe rase de la lande. Les hommes puisent leur énergie dans cet espace à nul autre pareil. Dans cette matière très riche, ils s’enracinent ou trouvent leur envol. Sans jamais se départir du souffle de la liberté.
Bande originale exceptionnelle
Plutôt méditatif, Mes Frères comporte peu de dialogues : “Chaque mot est ciselé. Les acteurs ont beaucoup répété pendant le tournage. Et j’ai voulu signifier le silence, y compris dans la musique.” Au-delà du huis clos, le film laisse donc beaucoup de respiration. À côté du bruit assourdissant des non-dits, la contemplation… Élément dramaturgique majeur, la musique vient soutenir le film de bout en bout. Comme l’Île d’Yeu, cette dernière fait partie intégrante du film et certains morceaux ont dicté le scénario. La BO nous transporte.
Et pour des héros musiciens, il fallait évidemment des artistes de qualité. Parmi ceux qui les ont suivis dans cette aventure : Talisco, Philémon Cimon, les Black Lilys, mais aussi Manu Chao, Eddy La Gooyatsh, Tana & The Pocket Philharmonic, Pash Gang, Requin Chagrin, Ewan MacColl, Clément Ducol, Mathieu Ben Hassen…
Fresque lyrique
La caméra sait se faire nerveuse, parce que la folie de la jeunesse a fait vaciller les choses. Il y a plusieurs moments volés, où la caméra à l’épaule est bien vivante. Même s’il y a beaucoup de travellings (magnifiques), la caméra se pose souvent pour repartir de plus belle, jusqu’à l’apaisement, inattendu lui aussi.
Avec des percées lyriques, la fresque prend de l’ampleur. Les images, soignées, donnent également à voir l’indicible. D’ailleurs, les cadres sont déterminants tout au long de l’histoire. Du très large au plus serré. De l’espace à l’asphyxie, de l’air à l’agonie.
Contrastes
Bertrand Guerry aborde donc un sujet grave avec les moyens du cinéma et de la poésie. Jouant sur les contrastes, il souhaitait que les gens sortent bousculés, comme dans les montagnes russes, qu’ils vivent de fortes émotions, entre gravité et légèreté. Pari réussi et auprès de toutes les générations, en témoignent les réactions des enfants à l’avant-première, touchés par les personnages de Simon et de Juliette.
Enfin, saluons les interprètes. David Arribe (Rocco) est l’une des révélations du film. De la force de la nature au paralysé, de “la grande gueule” à l’homme meurtri, l’acteur impressionne par sa palette. Il est convaincant du début à la fin, subtil dans ses paradoxes. Autour de ce malade et de son frère, liés à la vie à la mort, on trouve une pléiade de très beaux seconds rôles : un aveugle, des enfants complices, véritables rayons de soleil du film, et la sœur… Les comédiens nous font tous vibrer.
Une histoire de famille…
Devant, mais aussi derrière la caméra ! Car Mes Frères, c’est également “une aventure humaine et familiale formidable avec les acteurs et les habitants de l’île, mais aussi mes enfants, mon épouse, mon frère”, explique Bertrand Guerry, dont c’est la première fiction.
Premier assistant réalisateur pendant une dizaine d’années, fondateur de la société de production Mitiki (créée en 2001), il a réalisé de nombreux documentaires et soutenu des projets sur des sujets divers liés à la musique, à la danse et au handicap. Mes Frères est né il y a cinq ans.
Projet difficile à faire aboutir, mais sélectionné dans plusieurs festivals (États-Unis, Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne) et à Cannes Écrans Juniors. De plus, le film a déjà reçu plusieurs prix : “Meilleur scénario original” et “Prix d’interprétation pour l’ensemble de la distribution” au RIFF (Richmond International Film and Music Festival).
À noter que Mes Frères, qui bénéficie du label Cinéma Équitable, s’est monté en partenariat avec FOP France (Fibrodysplasie Ossifiante Progressive, appelée aussi maladie de l’homme de pierre) et 50 % des bénéfices seront reversés directement à l’association. Un cinéma qui a du sens, donc, car à la dimension sociale forte et engagée.
Cette pépite vient de sortir dans quelques salles et est à l’affiche du Ciné Islais pendant tout l’été. De quoi laisser le temps aux gens d’apprécier le sel de la vie, ici encore plus qu’ailleurs !
Sarah Meneghello
Quelques critiques presse
20 Minutes : “Le documentariste Bertrand Guerry s’est entouré de proches pour donner vie à la bouleversante histoire d’une fratrie…”
Le Nouvel Observateur : “Bertrand Guerry, documentariste, musicien, acteur, danseur, passionné par les relations humaines, puise dans toutes ses expériences pour ce premier film de fiction tourné avec de petits moyens. Inabouti ? Sans doute. Mais il passe une véritable passion, un entrain, une conviction. Attendons le deuxième film.”
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